Un discours ouvert ou l’effet papillon démontré

6 décembre 2017

Le 6 novembre 2017, Mitchell H. Katz et Rita F. Redberg — respectivement rédacteur en chef adjoint et rédactrice en chef de JAMA Internal Medicine —, dans un éditorial qui fait du bien, ont tenté de remettre l’église au milieu du village.

Ce texte fait suite à un article publié au printemps par nos collègues bernois et lausannois qui, sous la plume du Dr Auer, montrait que le tabac chauffé peut contenir des substances nocives. Cette édition de novembre contient les courriers alimentant la controverse et la réponse des auteurs. Peu importe. Ce qui nous encourage est le fait que les éditorialistes ont élégamment indiqué que des industriels peuvent intimider les chercheurs, directement ou indirectement (notamment en contactant leur hiérarchie), en les invitant de faire retirer leur contribution scientifique.

Ce type d’intimidation a conduit ces mêmes chercheurs à s’interdire d’ouvrir le débat dans la presse: il semblait important que celui-ci reste strictement sur le plan scientifique en évitant les dérapages médiatiques.

Mais le mot est lâché: intimidation. Le doyen que je suis s’est lâché lors d’une conférence publique, en juin 2017, dénonçant cette intimidation. Quelques phrases puis tout s’est emballé sur la planète médiatique, dans le non-dit, dans les tonalités du gris des fumées de cigarette. Quelques phrases pour affirmer que la liberté académique ne doit pas se laisser brider. Le débat scientifique permet de corriger les erreurs, d’opposer des arguments cohérents, de montrer éventuellement l’inadéquation des méthodes utilisées par certains groupes d’investigateurs, de contester des conclusions. Mais intimider des chercheurs, c’est grave: c’est définitivement inacceptable.

Le rôle d’un doyen, d’un décanat, est, entre autres, de se battre pour la liberté académique, pour que la recherche soit forte, indépendante, que les intérêts soient déclarés, que la science soit le reflet des savoirs en création. La science doit être un bastion de la liberté. Elle doit s’exercer dans la rigueur et la clarté. L’obscurantisme est une plaie, la falsification une faute grave, la manipulation une errance; mais la science, conduite avec détermination, au nom de la liberté et des savoirs, dans un contexte de liberté académique, est une vraie richesse sociétale. Si la science heurte les intérêts économiques des grandes compagnies industrielles, alors nos institutions doivent intervenir pour aider, supporter, défendre, encourager les chercheurs.

Toute intimidation doit être rejetée: au nom de la liberté, au nom d’une science rigoureuse, au nom des savoirs multiples, et surtout, au nom des individus-citoyens qui financent les institutions publiques. Merci au Dr Auer et à ses collaborateurs d’avoir fait preuve de courage; leur voyage scientifique dans les volutes tabagiques en a fait tousser plus d’un. Cette épopée moderne nous a conduits dans les pages du Canard Enchaîné, dans celles du Washington Post en passant par d’autres médias moins fameux, mais tout aussi importants à leur échelle. Ces auteurs, et la rédaction en chef du JAMA Internal Medicine, nous projettent dans un débat ouvert et qui ne se laissera jamais fermer: il en va de notre crédibilité.

Jean-Daniel Tissot, Doyen FBM

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